La Maison Bleue

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Fin Août 2019, j’emménage à Bruxelles. Je projette, idéalise, fantasme ce nouveau départ tant attendu, cette tournure de vie devenue nécessaire ces derniers mois où je continuais de courir dans les rues de Paris. À bout de souffle je courais, après ma réussite et ce que je n’estimais jamais satisfaisant, jamais assez, toujours plus, encore moins. À bout de souffle je courais, pour tenter d’effacer les plaies fraîchement cicatrisées des blessures que certains ont laissé. Des restes de non confiance, d’appréhension et de remise en question dont je voulais me débarrasser d’un geste sec, direct et sans retour. J’étais prête à partir, à accueillir les bras grands ouverts cette indépendance dont on m’avait tant parlé. Je l’attendais depuis longtemps, cette distance qui allait enfin s’interposer entre mon être et une partie de ce qui en avait jusqu’à présent constitué le développement. Un sac de courses aux anses bien solides, rempli d’états et d’émotions que j’allais pouvoir balancer dans la case des souvenirs. Le tri dans ma tête avait été fait, parmi ce que j’avais décidé de laisser, là où je ne reviendrais probablement pas.

Sous le soleil encore chaud des derniers jours d’été, j’ai débarqué, mes cartons sous un bras, devant cette maison que je réaliserais plus tard connue de tous sous le nom de « La Maison Bleue ». Une façade modeste répondant à l’architecture typiquement belge de par ses ouvertures légèrement arrondies et les bas-reliefs discrets qui en encadrent subtilement certaines. Ses fenêtres bombées du premier étage et la sobriété de celles qui s’y superposent laissaient apparaître les quatre paliers distincts, et sur cette composition architecturale nous pouvions deviner les différentes fonctionnalités et répartitions spatiales que la maison abritait lorsque celle-ci appartenait encore à une grande famille bruxelloise. Elle faisait partie de ces anciennes maisons de maîtres, réputées en Belgique pour avoir été divisées en appartements ou en collocation étudiante.

Loin d’être l’une des villas art déco les plus prestigieuses de la ville, elle imposait une certaine élégance sur la montée de l’Avenue Clémentine, à quelques mètres du parc de Forest. Bleu, elle était bleue. D’un bleu tendre au résonances parmes qui ressortait au milieu des deux immeubles grisâtres qui l’encadraient. On ne la remarquait pas pour le caractère éclatant de sa couleur, mais plutôt pour la douceur visuelle que celle-ci renvoyait. Un murmure s’échappait de cette grande baraque, un souffle chaleureux qui invitait à pousser la lourde porte au verre fissuré, afin de pénétrer à l’intérieur de cette dame.

La richesse de Bruxelles se trouvait dans les lieux que la ville abritait. Derrière des façades pour certaines ne présentant qu’un bâtiment aux dimensions standards, se cachaient de vastes es- paces de vie intérieure, pour un grand nombre munis de jardins et de terrasses privés. Ce n’était pas une ville de hauteur, mais de profondeur. Sur le bord des trottoirs défilaient des maisons et immeubles aux esthétiques éclectiques dont jaillissait une harmonie inqualifiable. Un désordre rythmé, une symbiose déstructurée, à l’image même de ses habitants et du mode de vie qui s’y déroulait. Les façades affirmaient leurs différences tout en se répondant les unes aux autres par des éléments architecturaux similaires – des ferronneries courbées héritées des architectures de Victor Horta et de Joseph Hoffmann, des pierres aux teintes brunes et grises venues de Flandre, des devantures de magasins en verre soufflé et aux vitraux colorés – un ensemble de détails qui tissaient un lien étroit entre les rues dispersées, si bien qu’il était impossible de perdre le fil dans l’atmosphère chaleureuse de cette ville pulmonaire.

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